Comment développer ses plans-films?
Ca devait arriver… Après avoir passé des années à développer mes films 135 et 120 dans ma bonne vieille Paterson, j’ai fini par avoir envie de « plus grand ».
Ca tombe bien, j’avais déjà tout le matos Sinar qui m’attendait bien sagement depuis des lustres dans une énorme caisse. Il n’y avait plus qu’à lui faire prendre l’air.
Bon, vous allez sans doute me demander pourquoi diable avais-je ce matériel chez moi sans m’en servir? Si vous avez lu mes pages sur le daguerréotype, vous savez pourquoi ( je résume : je m’en suis servi pour faire du dag, mais sans intention de faire des plans-films avec). Ayant abandonné le procédé (vous n’avez qu’à lire la page pour savoir pourquoi!), je me suis retrouvé avec tout ce matos en hibernation.
Je ne pouvais décemment pas laisser un tel trésor au placard, d’autant que j’avais déjà un stock de plans-films 4X5 qui m’attendait au congélateur. Alors, comment développer ses plans-films?
Développer du 4X5 avec le MOD54 :
Il existe un tas de systèmes, tous plus ou moins mal conçus… Certains consomment trop d’eau, d’autres sont trop chers, d’autres ne permettent de charger que 4 PF en même temps, etc.
J’ai alors entendu parler du MOD54, un système permettant de charger 6 PF d’un coup, tout en pouvant réemployer ma cuve Paterson. C’est cher pour un bout de plastique (vers les 60 Euros), mais moins que la concurrence.
Le truc a l’air très astucieux, et paraît sûr. Mais à l’usage, j’ai vite déchanté. Tout d’abord, le chargement est bien difficile dans le noir. Il faut prendre garde à ne pas mettre deux PF dans la même encoche. Par ailleurs, il est inévitable d’avoir des rayures sur les zones de contact de ces dernières : on est contraint de procéder par itérations, et chaque mouvement contre ces encoches provoque un frottement. Ajoutons que le développement par renversement fait bouger les PF dans leurs logements (ce qui les raye un peu plus, d’autant qu’une fois mouillée, la gélatine est très fragile). On peut atténuer notablement ces rayures en ponçant l’intérieur des encoches pour faire disparaître le joint de moulage coupant qui court tout du long. Et en ajoutant de la peinture noire à maquette (peinture Humbrol, résistante aux produits) pour lisser la surface. Vous comprenez maintenant la présence de traces noires sur ma spire! Bon, il y a du mieux, mais ça n’éradique pas totalement ces rayures. Cela dit, le problème est à relativiser à l’heure du scan : les rayures ne se voient pas sur les fichiers. Et quand bien même, vous avez le tampon de Photoshop!
Donc, mettons qu’on soit parvenu à charger les films correctement sans erreur (on y arrive en s’entraînant en plein jour, puis dans le noir, avec des films fichus). Petit détail important : le côté émulsion doit être tourné vers l’axe du MOD54, sinon, vous allez vous retrouver avec une zone non développée au contact des encoches.
Le développement se fait comme d’habitude, par renversement, sans nécessiter de corrections particulières par rapport au 135. Le bémol, c’est qu’il faut mettre 1 litre de produit dans la cuve. On ne peut pas dire que ça soit économique.
La surprise arrive à la fin, à l’ouverture de la cuve : Très souvent, on découvre qu’un ou deux PF ont sauté de leur logement pour passer dans le suivant. Occasionnant une mise au contact des PF sur une zone, qui, du coup, se retrouve non développée à cet endroit. Extrêmement rageant!
Le risque augmente avec le nombre de retournements. Ne faites pas comme moi, qui ai essayé un développement avec le révélateur dilué à 1+3 (afin de faire des économies de produit à cause des 1L consommés). L’allongement du process occasionné par la dilution (et donc du nombre de retournements en conséquence) a mis une belle pagaille dans les PF. Du reste, la notice déconseille de diluer à 1+3, sans préciser pourquoi… Maintenant, je sais!
Quelle que soit la façon dont vous retournez la cuve (doucement, sans brusquerie), vous risquerez toujours un décrochement des PF.
Par ailleurs, j’ai aussi découvert que la présence des encoches était responsable d’un surdéveloppement local, et ça se voit très bien sur les ciels, comme ci-dessous (zonage en haut, mais aussi en bas de l’image).
Tous ces problèmes m’ont donc amené à abandonner ce système. J’ai voulu économiser, ben j’aurais pas dû!
Développer du 4X5 avec une cuve Jobo 2520 :
Las des économies de bouts de chandelles, je me suis résolu à investir directement dans une cuve Jobo 2520, avec la spire 2509n.
La cuve :
La 2520 est la plus petite du système, elle permet de contenir une seule spire pour plans-films 4X5. Son diamètre est plus important qu’une Paterson, vous ne pourrez donc pas y mettre la spire 2509n dans cette dernière. Bonne nouvelle cependant, vous pouvez réemployer le tuyau de rincage Paterson, il a le même diamètre. Le système de fermeture est bien étanche à l’eau, mais il a une lourde tendance à se déverrouiller facilement. Gaffe!
La spire :
C’est le modèle 2509n de la même marque. Fournie avec des cales pour 4X5 et pour 9X12. On peut y placer jusqu’à 6 PF. Si vous en avez moins, il vaut mieux les mettre deux par deux : l’un sur un rack, l’autre de l’autre côté, à l’opposé. Evitez d’en mettre deux sur le même côté et aucun sur l’autre. Si vous avez trois PF à développer, il est conseillé d’en ajouter un 4ème (un vieux raté, même déjà développé).
Le chargement n’est pas simple à gérer au début. Il faut absolument s’entraîner en plein jour avec de vieux PF. Commencer au jour, puis les yeux fermés, ensuite au noir (on est trop tenté d’ouvrir les yeux quand on les ferme en plein jour…). On a surtout du mal à comprendre comment mettre les deux cales. Il faut y aller franchement : présenter les gouttières en face des encoches, et pousser droit. Les plans-films doivent absolument avoir leur côté émulsion en regard de l’axe central. A noter qu’il est inutile d’acheter le truc qui aide à insérer les PF. Vous êtes grand, vous allez vous en sortir.
Le développement :
– Remplir la cuvette d’eau à la bonne température, à ras bord. A ce propos, le plus simple est de développer à la température de la pièce (dans une fourchette entre 18 et 24°C). Puis utiliser un tableau de conversion pour calculer le nouveau temps en fonction de la température du moment. Vous allez gagner un peu de temps en choisissant de développer à 22°C plutôt qu’à 20°C. C’est toujours ça de pris! On peut aussi développer un peu plus chaud ou froid que la pièce : il y a assez d’inertie (si on ne traîne pas) pour que ça reste stable le temps d’aller au bout du révélo (les étapes suivantes ne sont pas critiques sur la température).
Préparation :
– Préparer les bains à cette température, donc. Y compris un bain de prémouillage. Vous aurez donc 4 contenants préparés : eau de prémouillage (seulement de l’eau du robinet), révélo, arrêt et fixateur.
– Il faut prévoir 300 ml de produit pour chaque. Pas une goutte de plus, c’est inutile, même avec 6 PF. Jobo indique 270 ml, mais c’est plus simple pour le calcul d’arrondir, et ça donne une marge. Pas de souci d’épuisement du révélo VS la surface cumulée des films. Ca marche, on vous dit!
– Le dev se fait en rotatif, à la main. A raison de 70 tours complets par minute, deux dans un sens, deux dans l’autre. En gros, un peu plus d’un tour/seconde. Utiliser le plat de la main et y aller avec des mouvements amples, en alternant les mains (vous en avez deux à disposition, des mains). La vitesse n’est pas une donnée très critique, pas de panique. L’essentiel est de ne pas s’arrêter, et de bien alterner les sens.
– Donc, comme on est en rotatif, le révélo étant en agitation constante, il faut compenser cela en réduisant le temps de 15%. Très important!
On s’y met :
– On commence par le prémouillage : on verse au moins 300 ml (c’est de l’eau, alors on peut en mettre plus si on veut) dans la cuve placée verticalement, on met le bouchon, et on met la cuve horizontalement sur ses roulettes. On fait rouler, sans s’inquiéter de la vitesse. Le but ici est juste de mouiller les films.
– On jette l’eau, et on remplit le plus vite possible avec les 300 ml de révélo. On place vite la cuve horizontalement. A noter qu’on n’est pas nécessairement obligé de fermer le bouchon : il n’y a pas assez de liquide dedans pour que ça s’écoule. C’est mieux si vous pouvez, quand même. En même temps qu’on verse, on démarre le chrono, et on commence les rotations alternées.
– Il est préférable d’éviter de développer en-dessous de 8 mn environ (risque de zonages).
– 10 secondes avant la fin du temps imparti, on vide la cuve. On y verse le bain d’arrêt pile à la fin du temps de révélateur, on met la cuve à l’horizontale sans glander, et on tourne.
– On répète tout ça pour le fixateur.
– Pour le rinçage, c’est comme d’habitude : soit on place le tuyau Paterson dans le trou et on rince en eau courante (20 mn maxi, inutile d’aller plus loin), soit on utilise la méthode Ilford (on remplit la cuve d’eau, on retourne 5 fois, on jette, on remplit, on retourne 10 fois, on jette, on remplit, on retourne 20 fois, ouf c’est fini. Pas encore essayé, mais je vais y venir, vue la conjoncture).
Dès le premier développement, j’ai eu un résultat parfait : aucune zone, pas de taches, pas de sur- ou sous-développement.
Je ne saurais trop vous conseiller d’investir (150 Euros), en oubliant toutes ces solutions de fortune qui font celle de ceux qui vous les vendent.
Développer du 20X25 en cuvettes :
Ca y est, vous avez pris le virus du grand format, et vous pensez que seul le 20X25 (ou 8X10 pouces pour les US) sera digne de votre talent unique.
Mais après avoir investi dans la chambre qui va bien et les plans films super chers, après avoir parcouru les grands espaces (en voiture, on n’est pas des bourricots) sur les traces de Saint Ansel, vous vous retrouvez tout con avec vos chefs d’œuvres à développer.
Bien sûr, il y a Jobo pour vous sauver, mais bon, après avoir mis le paquet dans le matos de prise de vue, vous êtes sans le sou, et pas trop de place pour stocker tout ça (d’autant que la concurrence est rude avec la personne qui subit votre manie).
Vous allez aussi bien vite comprendre que la belle chambre, c’est décidément lourd et encombrant; les PF, ça coûte un maximum, et en plus, vous n’avez qu’un ou deux châssis. Bref, vous n’allez pas en faire des milliers par an.
Si bien que la solution simple, pas chère et de qualité vous tend les bras. J’ai nommé, le développement en cuvettes. Oui, dans le noir. Mais ne partez pas tout de suite, ce n’est pas si terrible, et ça vaut le coup.
Il faut d’abord vous munir de 5 cuvettes : les trois habituelles, plus une pour le prémouillage et une pour rincer. Le format doit être immédiatement supérieur à celui du film, soit 30X40 cm (le 24X30 est trop juste).
Très important : l’état de surface du fond doit être parfaitement lisse, sans logo ni aspérité. Je conseille celles qui ont des rigoles en creux plutôt qu’en relief (les Ahel conviennent). Les AP ne vont pas (gros logo en plein milieu). Lors de mon premier développement, j’avais négligé cet aspect. Erreur grave. Mes PF avaient d’énormes rayures très profondes, à cause de toutes petites aspérités invisibles dans les cuvettes.
Deux écoles :
– Utiliser des plaques de verre à placer au fond. Inconvénient : du produit se glisse dessous, et c’est autant de liquide qui ne va pas servir pour les films. Ca peut casser lors des manipulations et on peut se blesser.
– Poncer le fond de chaque cuvette au papier de verre 600, puis 1000. Finir en frottant au Miror avec un chiffon. Un boulot de bagnard, mais je l’ai fait, et ça marche parfaitement! (la photo vous montre l’aspect de mes cuvettes après ce travail).
Vous faites comme ça vous chante.
– Avant de passer dans la salle noire, il vous faut un système qui décompte le temps sans les yeux… J’ai longtemps cogité, et j’ai opté pour mon Iphone, option Dictaphone. Je me suis enregistré en train d’égrener les secondes comme l’horloge parlante. Attention, il faut tenir compte du temps qu’on va mettre à sortir ses PF des châssis avant de les plonger dans le prémouillage. Donc prévoir 5 mn « en négatif » (« Moins 5mn », « moins 4 mn », façon compte à rebours) avant le temps de développement lui-même. Et ensuite, ajouter le temps du bain d’arrêt et de fixateur. Vous en avez au moins pour 20 mn à jouer à l’horloge parlante. Au moment de lancer le développement, se mettre en mode avion et cacher le smartphone sous une serviette, ça évitera que belle-maman ait envie de vous demander ce que vous aimez pour le dessert, ce qui aura pour effet d’allumer l’écran et de ruiner votre chef-d’œuvre.
Processus :
– Le développement se fait en agitation constante. Donc réduire le temps de 15%, comme pour la Jobo. Pour ma part, je développe à la température de la pièce, donc j’utilise un abaque pour compenser. Il faut néanmoins éviter de descendre sous les 9 mn, afin d’éviter des zonages.
– Je développe deux à trois PF maxi en même temps. Certains vont jusqu’à une douzaine simultanément, mais il faut être vraiment un prince de la nuit.
Il faut compter 300 ml de révélo par PF (pour éviter l’épuisement). Donc, 900 ml pour 3 PF. A noter qu’on ne peut pas trop descendre en-dessous de cette quantité de toute manière, dans une cuvette 30X40. Il n’y aurait pas assez de produit pour recouvrir les films.
– On travaille avec des gants en nitrile bleu (pas de latex). On va voir que ça va servir.
– On sort les films des châssis, et on les met dans l’eau de prémouillage. Un à un, on les immerge en les enfonçant avec le bout des doigts pour bien qu’ils soient recouverts d’eau. Ne pas les mettre tous en même temps, ils vont coller. Une fois bien mouillés, on les sort tous les trois ensemble, on les égoutte un peu, et on les met dans le révélo (quand le chronomètre parlant vous demande de le faire).
Attention : le côté émulsion doit toujours être tourné vers vous, durant tout le processus.
– Et là, faut faire bien gaffe, ça ne rigole plus. Une fois immergé, tout de suite, on soulève le tas par un côté (pas par un coin), pour aller chercher la feuille qui est tout en-dessous. On fait ça très délicatement, mais vite. On l’attrape par un côté, et hop, on la place au-dessus de la pile, mais bien à plat, sans la faire glisser. On appuie pour immerger, et tout de suite, on va chercher la feuille du dessous, et hop, on la met dessus. Pareil pour la dernière. Il faut aller assez vite pour que les trois feuilles aient bien le temps de prendre le révélo.
– Une fois ceci fait, on soulève un côté de la cuvette. Puis le second côté, le troisième, le quatrième… jusqu’à huit. Pas trop vite, mais bien fermement, faut que le liquide se balade franchement à la surface. On peut faire tourner la cuvette d’un quart de tour si c’est plus simple pour vous.
– Au huitième côté soulevé, on vient chercher le PF du dessous, et on le met au-dessus. Comme précédemment. A noter que le PF doit toujours glisser contre son copain en reculant, jamais en avançant (sinon les coins vont rayer l’émulsion très fragile).
– On recommence le soulèvement des quatre côtés. Et on fait monter le PF du dessous au-dessus.
– On continue ainsi jusqu’à la fin. Ce n’est pas académique, mais 10 secondes avant la fin du temps de révélo, je prends tous les PF en même temps, je les égoutte et les plonge dans le bain d’arrêt. Puis, je « bats les cartes » rapidement. Normalement, on devrait les sortir un par un, le dernier sorti étant le dernier arrivé (ce qui donne un temps d’immersion identique pour chacun). Mais il faudrait pour ça repérer celui-ci et ça me saoûle. Le fait est que ça marche très bien sans cette précaution (et je ne suis pas un prince de la nuit).
– On continue la méthode pour l’arrêt et le fix. Attention à ne pas relâcher la garde dans les cuvettes suivantes, rapport aux rayures. Il faut être super attentif jusqu’au séchage final.
– Le rinçage se fait en cuvette comme pour les tirages. Un filet d’eau pendant 15 à 20 mn, en faisant attention à ce que les PF ne s’entrechoquent pas.
Un dernier bain d’eau déminéralisée + agent mouillant, et on fait sécher. Attention : sans y toucher. Aucun frottement, pas de raclette, pas d’éponge. Car vous constaterez que l’émulsion est ultra fragile sur les arêtes, il peut y avoir du décollement. Le mieux est de ne pas toucher du tout.
– Faire sécher en utilisant une pince à dessin en métal bien large, placée sur une des côtés, dans la marge. Eviter absolument les pinces à linge, sinon votre beau PF sa se retrouver par terre (vécu). Il faut vraiment un truc qui accroche ferme. C’est aussi valable pour le 4X5.
Admirer son œuvre sur la table lumineuse, et vos efforts seront récompensés.
– L’archivage :
Je range mes PF 20X25 dans des pochettes cristal, et j’y ajoute une bande de papier sans acide (scotchée au Filmoplast P90 d’achivage, -un scotch de papier neutre-) pour pouvoir y mettre les trous du classeur.
Bon ben voilà… Ca paraît difficile à réussir quand on décrit le process, mais finalement, c’est simple. Et je garantis la qualité du résultat. Parfait à tous les coup chez moi (en-dehors des rayures de la première fois). Je n’ai essayé que le Delta 100 dans l’ID-11 à 1+1, pour le reste, peut-être qu’il y a des adaptations à prévoir.