J'ai refait le Point de Vue du Gras

Ou : Comment pratiquer l'héliographie aujourd'hui

Partie 1

Le Big Bang de la photo

heliographie-héliographie le point de vue du Gras
Le Point de Vue du Gras, Joseph-Nicéphore Niépce, été 1827

Si vous avez échoué sur cette page, c’est que vous connaissez cette image. Prise en juin 1827 (d’après les recherches récentes, dont celles de Jean-Louis Marignier), il s’agit de la plus ancienne photo conservée au monde, et elle est l’œuvre de Joseph-Nicéphore Niépce, l’inventeur de la photographie (bien avant Daguerre et Talbot). Elle représente la vue de la fenêtre de son cabinet de travail, dans sa propriété du Gras, à Saint-Loup-de-Varennes. A l’époque, Niépce avait désigné son procédé sous le nom d’héliographie (écriture par le soleil, en grec).

Cette héliographie, donc, est très difficile à lire. On y devine vaguement deux bâtiments de forme similaire, de part et d’autre de l’image. Au milieu, le toit en pente d’un autre bâtiment. Au fond, à gauche, un arbre, qui laisse voir un bout de ciel par une ouverture. A l’avant-plan, à gauche, on croit reconnaître les montants d’une fenêtre, à moins qu’il ne s’agisse plutôt de l’angle du bâtiment. Il n’y a pratiquement pas de demi-teinte, ni aucune couleur. Elle est floue et granuleuse.

Le Point de Vue du Gras est la seule héliographie d’après nature qui soit parvenue jusqu’à nous. Toutes les autres furent perdues, alors que l’on sait que Niépce en réussit plusieurs. Il existe seulement une dizaine de plaques réalisées par contact d’après des dessins sur papier, mais il ne s’agit pas de prises de vues directes. Ce point de vue fut sauvé principalement parce qu’il avait été donné par Niépce de son vivant à un botaniste anglais du nom de Francis Bauer (à un moment où l’inventeur tenta de vendre son procédé aux anglais), qui le conserva précieusement jusqu’à sa mort, et qui fut transmis à ses descendants. Mais il fut perdu à la fin du XIXe siècle, pour être retrouvé en 1952 par le collectionneur Helmut Gernsheim dans des conditions rocambolesques (dont le récit est à lire ici). A la mort de Gernsheim (qui devint le nouveau propriétaire de l’image), l’icône fut cédée à l’université du Texas, à Austin, USA, où chacun peut venir l’admirer. Hélas, la plaque est aujourd’hui presque illisible, car le métal qui sert de support à l’image (de l’étain), est complètement noirci.

le point de vue du gras non retouché-héliographie le point de vue du Gras
Le point de vue du gras non retouché, avant qu’Helmut Gernsheim n’intervienne pour enlever les défauts.

Il faut savoir que le document que vous voyez ici n’est qu’une copie interprétée. Ce n’est pas un fac-similé de l’original. Lorsque Gernsheim prit possession de la plaque, elle était déjà oxydée (conservée sans précaution ni verre protecteur), et par ailleurs, la technique de l’héliographie a un rendu particulier que l’on ne peut apprécier qu’en orientant la plaque sous un certain angle. Si bien qu’il eut un mal considérable à la reproduire pour la diffuser dans les médias. Les techniciens du Times n’y parvinrent pas non plus. Gernsheim alla même jusqu’à solliciter Scotland Yard ! Finalement, un laborantin de Kodak réussit à en sortir quelque chose. Mais ce résultat ne satisfit pas Gernsheim, qui décida de retoucher au pinceau le duplicata sur papier, pour y enlever toutes les traces indésirables. 

Et donc, l’image qui est diffusée partout est le résultat du travail de Gernsheim rephotographié (c’est-à-dire une copie de seconde génération au mieux), qui est loin de ce à quoi ressemble une héliographie originale d’après nature. Notre collectionneur avait conscience du problème et n’a jamais caché avoir diffusé une image qui ne correspondait pas à l’original. Le plus étonnant, c’est que depuis, personne n’a réellement tenté de faire mieux, et c’est toujours la reproduction de 1952 qui circule aujourd’hui.

Le Point de Vue du Gras, tel qu’on peut l’admirer à l’université du Texas, à Austin. Prises de vues originales ramenées exceptionnellement par ma collègue Patricia! Les trois premières images représentent la plaque originale, la quatrième est la reproduction brute, la cinquième est un dessin de Gernsheim, et la dernière est le verso du carton de l’encadrement.

L’authentique appareil de Niépce, qui a servi à ses expériences héliographiques, visible au musée Niépce de Chalon-Sur-Saône. L’objectif a hélas disparu. 

Le point de vue tel qu’il est devenu, dans la demeure du Gras. Tous les éléments visibles sur l’héliographie de 1827 ont disparu, et jusqu’à la fenêtre d’origine, puisque celle-ci a été déplacée de 70 cm après la mort de Niépce pour permettre l’installation d’une cheminée dans la pièce.

Le procédé de Niépce

Camera obscura au Conservatoire des Arts et Métiers, Paris.

Niépce, depuis 1816, cherchait à capter les images qu’il voyait se dessiner dans sa camera obscura. Dès cette année, il parvint à les enregistrer, en utilisant une solution photosensible à base de chlorure d’argent. Malheureusement, il ne parvenait pas à les fixer, si bien qu’il ne pouvait les conserver (les images noircissaient complètement en quelques minutes dès qu’on les regardait à la lumière). Il décida donc de renoncer à cette technique et orienta ses recherches dans d’autres directions (ce qui s’avéra rétrospectivement une erreur fondamentale, puisque ce faisant, il se perdit dans des procédés exotiques, alors qu’il avait d’emblée trouvé une voie prometteuse) .

Après des tentatives dans de nombreuses directions, certaines pertinentes, il finit par mettre au point la technique suivante :

  • Polir une plaque d’étain (ou d’argent après 1827), afin d’avoir un support réfléchissant et lisse.
  • Se munir de bitume de Judée en poudre, et le diluer dans de l’essence de lavande. 
  • Après un temps de repos, on obtient un liquide visqueux qu’on étale sur la plaque avec un pinceau.
  • Chauffer la plaque pour faire s’évaporer la lavande. Il reste un vernis dur et brillant, de teinte marron très dense.
  • Exposer la plaque à la lumière dans la camera obscura, durant le temps qu’il faut.
  • Faire apparaître l’image par dépouillement dans un bain d’essence de lavande mélangé à du pétrole blanc. Le bitume va résister au produit sur toutes les zones qui ont reçu l’énergie du soleil. Les hautes lumières sont donc matérialisées par le bitume, et les ombres sont représentées par le métal mis à nu. Les demi-teintes sont créées par des variations d’épaisseur de la couche bitumeuse.
  • Rincer à l’eau claire, faire sécher, et c’est terminé.

 On obtient une image négative de teinte marron, où ce qui reste du bitume de Judée forme l’image sur le fond métallique. C’est exactement ainsi que fut créé le Point de Vue du Gras. Le fait que la plaque de Niépce se présente aujourd’hui en positif vient de la faible épaisseur du bitume, de l’oxydation de l’étain (devenu plus sombre que le bitume), et d’une variation de brillance entre le vernis et le métal.

A partir de ce matériau, Niépce exploitait ses images de deux façons différentes :
– Inversion des tons pour récupérer une image positive (possible uniquement sur support en argent, après 1827), en soumettant la plaque négative à des vapeurs d’iode, qui a la propriété de noircir l’argent en fonction de l’épaisseur du vernis. Il suffit ensuite de retirer le bitume restant (qui a protégé l’argent sous-jacent et qui donc est resté plus ou moins blanc) pour obtenir l’image finale. Très délicat à réussir, car le résultat dépend de l’épaisseur du vernis et du temps d’exposition aux vapeurs. Seul Marignier y est parvenu depuis Niépce. Je lui rends hommage pour sa persévérance.

– La plaque peut servir de matrice pour un usage sous presse d’imprimerie (multiplication de l’image par copies imprimées) : elle est plongée dans un bain d’acide qui va attaquer le métal sur les zones non protégées par le bitume. Ce dernier est ensuite enlevé. Il reste une plaque où l’image est formée par des creux, qui vont permettre à l’encre d’imprimerie de s’y glisser, et donc de faire des tirages. Cette technique fonctionnait très bien pour des héliographies obtenues à partir de dessins à la plume ou de gravures, reproduites par contact. Car chaque trait formant le dessin était parfaitement noir et bien délimité (pas de demi-teintes). Niépce ne parvint jamais à obtenir des résultats satisfaisants à partir de véritables photographies, en raison de la présence de contours flous et de demi-teintes à tons continus et progressifs. Des zones entières de l’image disparaissaient pendant les étapes du creusement.

Niépce avait compris l’importance de son invention, mais avait aussi compris ses défauts : ses résultats aléatoires et son extrême lenteur, faisant de chaque résultat probant un exploit. Il était de plus très handicapé par la médiocre qualité des optiques qu’il utilisait. C’est ainsi qu’il finit par céder aux invitations d’association que lui proposait Daguerre. Je ne vais pas vous raconter ici toute l’histoire de l’invention de la photo, et je vous renvoie à la monumentale étude qu’en a fait Manuel Bonnet et Jean-Louis Marignier : Nicéphore Niépce, correspondance et papiers. Vous y trouverez tous les détails de cette passionnante aventure.

On a du mal à mesurer la qualité du procédé de Niépce, en raison du très petit nombre de pièces originales subsistant aujourd’hui (une seule véritable photographie d’après nature, avec son bitume en place, mais très endommagée. Le reste des artefacts sont des empreintes en creux d’après gravure et où le bitume a disparu). Par ailleurs, personne d’autre que Niépce ne parvint (après divulgation de l’invention) à obtenir des résultats probants. A la mort de ce dernier, en 1833, son fils Isidore essaya en vain d’obtenir des images (à la grande satisfaction de Daguerre qui se garda bien de l’aider). Peut-être que Daguerre y arriva, mais on n’en a aucune trace. En 1839, Arago essaya aussi, mais échoua tout autant (ce qui fut à l’avantage du daguerréotype, bien plus simple et rapide). Ensuite, le procédé tomba dans l’oubli, du moins en tant que procédé photographique en prise de vue directe.

Quatre plaques héliographiques de Niépce conservées au Musée Niépce de Chalon-Sur-Saône. Après avoir disposé par contact un dessin sur la plaque bitumée, le tout est mis au soleil. Ensuite, la plaque est développée. Puis le métal est attaqué par un acide qui va creuser les zones laissées à nu. Après retrait du bitume, Nicéphore obtient une matrice pour réaliser des tirages sur papier selon les procédés d’imprimerie.

La redécouverte de l'héliographie, par Jean-Louis Marignier

Ce ne fut qu’au tournant du XXIe siècle que Jean-Louis Marignier, chercheur français au CNRS, réussit à reconstituer entièrement le procédé. Il fut aussi à l’origine de la redécouverte du Physotautype, autre procédé photographique, inventé conjointement par Niépce et Daguerre, mais jamais divulgué en son temps (car supplanté par le daguerréotype, de qualité supérieure).

Il fit un travail de recherche considérable, sur des années, et fut en mesure de produire plusieurs plaques convaincantes pour chaque étape du procédé de Niépce. Son travail est à lire dans le magnifique ouvrage déjà cité, Correspondance et papiers, consultable gratuitement en ligne. En pages 1481 à 1494, vous y trouverez un mode d’emploi détaillé. Il a permis de rétablir plusieurs vérités et démentir certaines croyances colportées depuis toujours, faute d’avoir été vérifiées par l’expérimentation.

Je vous invite aussi à vous rendre à la Maison Niépce, à Saint-Loup-de-Varennes, où tout le travail de Marignier est exposé dans la demeure même où Niépce fit ses expériences historiques. Vous y découvrirez des héliographies, dont une en positif traitée à l’iode, ainsi qu’un Physautotype original recréé de La Table Servie. Un magnifique musée privé, tenu à bout de bras par Pierre-Yves Mahé et quelques passionnés. Se promener dans les pièces où l’inventeur travailla procure une émotion inoubliable.

La résidence d’été de Nicéphore, dénommée « demeure du Gras », à Saint-Loup-de-Varennes. C’est ici que l’inventeur effectua ses prises de vues. Désormais devenue « La Maison Niépce », un musée privé qui se visite essentiellement en été sur rendez-vous. A ne pas confondre avec le musée Niépce de Chalon.

On se lance

La lecture de l’ouvrage de Marignier m’a fait comprendre que l’héliographie est (théoriquement) relativement simple à mettre en œuvre. Les produits sont faciles à se procurer, bon marché, et ne sont pas toxiques, ce qui est une caractéristique assez unique dans les procédés photographiques anciens.

Avant tout chose, je vous invite à lire la description que Niépce avait fait de sa méthode. Elle donne des clés, tout en étant assez mystérieuse.

Ensuite, lire les explications de Marignier, qui a réussi à adapter le mode d’emploi originel en utilisant des produits modernes, ainsi que des variantes possibles.

Les supports que l’on peut utiliser peuvent différer. Il est loisible en effet de choisir tout matériau lisse, capable de supporter une chaleur d’une centaine de degrés. Soit : du métal (cuivre, argent, fer, laiton, étain, etc.), du verre, de la pierre, etc.

Avant de se lancer dans une prise de vue véritable, il est préférable de s’exercer comme l’a fait Niépce, c’est-à-dire en optant pour la méthode par contact, à partir d’un original translucide (un négatif noir et blanc en 24X36 convient parfaitement, et il procure en plus l’avantage de donner une image positive directement). Sinon, vous allez au-devant d’échecs répétitifs.

Pour commencer, il vous faudra disposer des éléments suivants  :

  • Des plaques de métal (idéalement, du laiton ou cuivre plaqué d’argent et poli miroir) ou de verre.
  • Du bitume de Judée en poudre (facile à trouver sur Internet. Le mien est de marque Sennelier).
  • De l’huile essentielle de lavande (attention, pas du lavandin, ni de simili).
  •  De la thérébentine.
  • Un pinceau très doux en poil de martre, plutôt large.
  •  Des flacons de récupération, cuvettes, etc.

L’essentiel du matériel. Il manque la balance de précision et les plaques argentées. Je ne conseille pas spécialement l’emploi du pétrole, bien que j’aie pu l’utiliser avec succès épisodiquement.

Préparation de la matière photosensible :

JL Marignier conseille de diluer entre 1,5 et 3 g de poudre dans 10 ml d’huile essentielle de lavande. Mais une quantité de 1,5 g semble, d’après lui, optimale. On va donc s’y tenir.

Choisir un petit flacon en verre à bouchon étanche, dont le goulot sera suffisamment large pour pouvoir y plonger le pinceau ensuite. Des vieux flacons d’Hexomédine transcutanée vidés et nettoyés sont idéaux pour cet usage!

Commencer par y mettre la poudre (donc, 1,5 g). Mesurer avec une seringue les 10 ml d’essence de lavande, et les balancer dans le flacon. Mélanger avec une baguette pour bien homogénéiser. En fait, on ne parvient pas à obtenir un truc vraiment homogène. On a plutôt des grains de poudre non dilués en suspension dans l’essence. Niépce conseille de chauffer raisonnablement le mélange (« l’abandonner à une douce chaleur »), j’imagine pour lier plus vite le tout. Mais Marignier ne mentionne pas cette étape, alors je n’ai pas essayé.

De fait, le mélange n’est pas utilisable tout de suite. Attendre une période de décantation de deux à trois jours, puis mélanger à nouveau. Attendre encore un ou deux jours. A ce moment (soit 5 jours après le début), le produit est prêt à l’emploi. On a cette fois-ci un liquide bien mélangé. Il faut savoir que ses propriétés photosensibles vont se modifier au cours des semaines, et que la concentration en bitume va augmenter au fil du temps et des prélèvements successifs pour préparer les plaques. Donc, sa durée de vie est limitée à un ou deux mois. On s’en aperçoit quand le liquide devient trop visqueux pour un étalement facile sur la plaque.

A noter que le mélange est photosensible, alors il faut le conserver au noir.

Se munir d’une balance de précision pour bien doser la poudre de bitume.

La poudre brute, et le flacon avec le vernis prêt à l’emploi. Rendre ce dernier opaque à la lumière, et noter la date de la préparation dessus.

Etalement du bitume sur la plaque :

Préparer la plaque en la dégraissant avec du produit à vitre s’il s’agit de verre. S’il s’agit de cuivre argenté, il faut que la surface ait un poli miroir et soit vraiment nette et sans trace.

Quel que soit le support, la méthode est la même : étaler le bitume avec un pinceau très souple et doux (pas de poil brosse) en une couche homogène, ni trop fine, ni trop épaisse. C’est très difficile à réussir, car le pinceau laisse des traces. Heureusement, après quelques instants, celles-ci s’atténuent de par l’étalement naturel du produit à la surface. J’ai pensé à un perfectionnement : mettre le produit dans un pulvérisateur ou un pistolet à peinture (aérographe). Cela permettrait de projeter sur la plaque une couche parfaitement régulière. Je n’ai pas essayé, simplement parce que cette méthode va consommer beaucoup de produit (et l’essence de lavande coûte très cher).

Démonstration de la manière d’étaler le bitume sur une plaque argentée.

Evaporation de la lavande par chauffage :

Ensuite, chauffer la plaque à une température d’environ 100 °C durant une vingtaine de minutes. Le but est de faire s’évaporer l’essence de lavande afin de former un vernis dur. Le chauffage joue également un rôle dans la photosensibilité.

Si, comme moi, vous ne disposez pas d’un système spécial, mais que dans votre cuisine, vous avez des plaques de cuisson halogènes, vous êtes sauvé. Utilisez la plus petite plaque, et réglez la puissance au minimum. Prenez une casserole sans manche ou un plat assez haut (il faut qu’il y ait un volume d’air suffisant), et disposez-le à l’envers sur la plaque. Vous avez un système chauffant qui convient. Posez votre future héliographie dessus, et laissez faire la chaleur.

Poussières et particules piégées dans la couche.

Mais vous allez immédiatement vous apercevoir que la poussière va immanquablement tomber sur votre plaque durant le chauffage. C’est un problème qui est absolument catastrophique, car l’impureté a tendance à créer une surépaisseur de bitume autour d’elle. Ca se voit comme le nez sur la figure! Par ailleurs, cette poussière va créer un autre souci lors du dépouillement, en autorisant une porte d’entrée au produit qui va pouvoir creuser le bitume à cet endroit. Vous aurez un trou dans votre image.

Cet épineux écueil peut être résolu d’une façon simple, en disposant par-dessus votre héliographie une plaque de verre un peu plus grande, qui sera maintenue à environ un centimètre au-dessus du bitume par des cales (j’utilise quatre boulons disposés aux quatre coins du verre). La présence de cette vitre n’empêche pas le bon déroulement de l’évaporation, car l’espace est suffisant pour permettre aux vapeurs de s’échapper. Votre verre va donc empêcher les poussières de se noyer dans le bitume encore visqueux.

Au cours de l’opération, vous verrez de la fumée s’échapper du bitume. C’est normal, l’essence de lavande se vaporise (et une forte odeur l’accompagne. A priori non toxique, mais je vous conseille de bien aérer le local).

Vous constaterez qu’au cours de l’opération, la couche s’affine et s’étale un peu. Pour vérifier que l’étape est terminée, prendre un cure-dent, et toucher le vernis dans un coin non visible, pour vérifier qu’il est bien dur. Si c’est le cas, c’est tout bon. Sortir la plaque et la laisser refroidir.

On remarquera que toutes ces opérations peuvent se faire en pleine lumière : le bitume est trop peu sensible pour que la lumière du local ait un impact sur le résultat. Evitez tout de même le soleil direct.

Evaporation de l’essence de lavande en chauffant la plaque autour de 100°C pendant 20 mn. Ici avec la vitre de protection.

Le résultat en fin d’évaporation, une fois la vitre retirée. Le vernis est devenu suffisamment dur pour ne plus craindre les poussières.

Exposition

Comme déjà évoqué, je vous conseille, pour vos premiers essais, d’opter pour la méthode « par contact ».

Vous pouvez vous servir d’un négatif noir et blanc, en 24X36 ou en 120. Par facilité, j’ai pour ma part commencé mes essais avec des négatifs 24X36, et mes plaques étaient du verre. Bien choisir son image : il faut que le sujet soit parfaitement lisible et net, avec des contrastes marqués, mais aussi des zones avec demi-teintes. L’héliographie n’a pas beaucoup de dynamique.

Ensuite, poser votre négatif sur votre plaque bitumée, et coincer le tout entre deux plaques de verre (maintenues par des pinces à linge).

Disposer l’ensemble en plein soleil, dans un lieu qui va recevoir le maximum d’ensoleillement. Il va falloir être patient, les temps de pose varient beaucoup, mais se comptent en jours.

Chimiquement, à la lumière, le bitume se réticule. Il va se former une sorte de réseau, de pont entre les molécules, qui va rendre le bitume résistant lors du développement. Détail intéressant, la formation de ce réseau est proportionnelle à la quantité de lumière accumulée. On comprend facilement que la réticulation se fait d’abord à la surface du vernis, mais qu’en profondeur, la lumière ayant du mal à traverser la matière, l’effet est moindre. Cela pose problème lors du développement, car le bitume en contact de la plaque, n’ayant pas eu le temps de réticuler, va rester soluble et va donc provoquer le décollement intégral du vernis lors du rincage.

Niépce avait déjà compris le problème, si bien qu’il conseillait d’utiliser un support réfléchissant, comme l’étain ou l’argent. Avec ce matériau, la lumière traverse le support, et en se réfléchissant à la surface du métal, retraverse le vernis dans l’autre sens, provoquant une double réticulation. De ce fait, les risques de décollement du vernis sont notablement diminués, tout en abaissant le temps de pose.

Mais ça fonctionne aussi avec le verre, si on dispose derrière une surface blanche. Mes premiers essais réalisés sur ce matériau ont donné de bons résultats. J’ai aussi obtenu quelques succès avec de simples plaques de laiton.

Vernis au bitume sur plaque de laiton et sur verre. A droite : la plaque de laiton peut aussi servir à des prises de vues directes (elle est assez fine pour être acceptée par l’appareil).

Comment déterminer le temps de pose?

C’est une bonne question. C’est même LA question. En vérité, c’est très difficile, voire impossible à évaluer tant que vous utilisez le soleil comme source de lumière.

Car les conditions changent sans arrêt d’une vue à l’autre : sur des temps de poses de plusieurs jours, la météo est forcément instable, et le soleil tourne. De plus, la saison avance au fil des prises de vues, si bien que ce qui était valable il y a 15 jours ne l’est plus désormais. Il faut aussi compter sur la sensibilité du bitume, qui varie également d’une plaque à l’autre (en gros, plus il vieillit, plus il est sensible, mais plus on a du mal à dépouiller l’image, et le contraste diminue).

A cause de ces contraintes, l’évaluation de l’exposition est quasi mission impossible. Il faut compter sur une grande part de chance pour tomber juste.

On pourrait fiabiliser la chose en se passant du soleil, et en exposant les contacts sous une lampe à UV ou LED puissante. Comme le cyanotype. Ca fonctionne, mais je n’ai pas les moyens d’essayer. Il y a beaucoup de contraintes : il faut laisser l’éclairage en place durant des heures, voire des jours. Il y a un risque d’incendie à laisser tout ça allumé sans surveillance, sans parler du coût en énergie, et l’usure des lampes (vous n’allez pas réussir du premier coup, soyez-en certain. Soyez prêt à sacrifier votre éclairage).

Jean-Louis Marignier utilisait une variante : il se servait d’un projecteur de diapos qu’il braquait sur la plaque. L’image se projetait dessus et venait impressionner le bitume. Ca donne le même résultat, mais on peut calibrer le système plus précisément qu’avec le soleil.

Par contact, avec un négatif noir et blanc, les temps de pose sont de l’ordre d’un à trois jours au soleil (selon la saison, de mars à octobre). Evidemment, en juillet, on se contente d’un jour, voire moins. En avril, on est plus près des trois jours. Il faut savoir que ce sont principalement les UV qui ont un effet (comme souvent dans les procédés anciens). En hiver, ça ne marche pas bien, par manque d’UV.

Mais en réalité, la fourchette est large, car le résultat dépend de nombreux paramètres :

– Saisonnalité et météo.

– Epaisseur et âge du bitume.

– Densité de l’original.

– Façon de développer l’image.

A noter que par contact, avec la chaleur engendrée par le plein soleil, le négatif cuit lentement… Il se peut qu’il se contracte ou se rétracte un peu, provoquant du flou. Mais heureusement, ce phénomène est peu sensible sur un petit format. Vous ne serez pas trop handicapé, mais c’est probablement plus critique en 120. Il peut aussi être intéressant d’essayer avec un plan-film (car son support en polyester est plus épais et plus stable dimensionnellement que les supports 135 et 120 en triacétate).

J’ai néanmoins été étonné par la résistance d’un négatif noir et blanc : les miens ont subi des semaines entières (en cumul) d’exposition au plein soleil direct, sans trop souffrir.

Quelques-unes de mes premières images sur verre.

Le développement :

Il est plus exact de parler de dépouillement. En effet, on utilise un bain qui va littéralement creuser dans la matière du bitume.

Niépce utilisait pour cela un mélange d’essence de lavande et d’huile de pétrole blanc (une part de lavande pour 6 parts de pétrole, mais cette proportion peut varier). Le pétrole blanc sert à diminuer l’efficacité de la lavande, pour avoir le temps de juger de la progression. Donc, plus le bain est faiblement concentré en lavande, plus le développement s’allonge. On comprend qu’on a plutôt intérêt à trop diluer plutôt que l’inverse, afin d’avoir le temps de voir l’image apparaître progressivement.

Jean-Louis Marignier conseille de remplacer ce mélange par de l’essence de térébenthine. Simplement parce que ça coûte bien moins cher que la lavande et que ça fonctionne aussi bien.

Et c’est heureux, parce que je n’ai jamais réussi à me procurer de l’huile de pétrole blanc. Au fil du temps, les dénominations changent, et ce que Niépce appelait « pétrole blanc » n’a pas forcément le même sens de nos jours. J’ai acheté un truc qui avait la même dénomination, mais manifestement, ce n’était pas ce qui convient!

J’avais néanmoins en stock une bouteille de pétrole (tout court), et j’ai cru bon de l’employer.

Ne répétez pas mon erreur. J’ai mal interprété les écrits de Marignier, et j’ai cru qu’il fallait se servir de la térébenthine en la diluant dans le pétrole (qui en plus, n’était pas « blanc »).

En réalité, il faut utiliser la térébenthine pure. J’ai pourtant bien réussi quelques images en la diluant avec mon pétrole, mais ça fonctionne tout de même mieux sans.

Une fois le bain prêt, plonger la plaque dedans. Agiter le bain en soulevant un côté de la cuvette. Au bout d’un certain temps, on devine l’image qui se forme à la surface du vernis. C’est très ténu, il faut se positionner de manière à faire briller la plaque à travers le liquide. Mais cette image est splendide, toute en nuances. 

Ma toute première image… qui est devenue un échec. Le début d’une longue série.

Quand elle commence à apparaître, il faut légèrement prolonger l’immersion, mais interrompre avant qu’elle soit complètement visible. Ce moment est très difficile à jauger. Si vous sortez la plaque trop tôt, au rinçage, l’image sera mal dépouillée (et des gros morceaux de bitume fondu vont rester collés, ruinant le résultat).

Si vous tardez trop, le rinçage va tout enlever!

Je remarque par ailleurs le phénomène suivant : des petits bouts de peau de bitume restent accrochés aux détails de l’image, et viennent compromettre la finesse finale.

La galerie des ratés… Liste ouverte!

Comme ces lambeaux de peau me gênent, je tente une autre approche : pendant que la plaque trempe dans la térébenthine, je passe un pinceau ultra doux dessus, très légèrement, sur toute la surface, mais avec des mouvements rapides. Le but est d’enlever les couches qui se ramollissent peu à peu, et de forcer les petits lambeaux à se détacher. C’est ainsi que je parviens à récupérer l’incroyable image ci-dessous :

Je crois tenir la solution! Je réitère la méthode sur une vue suivante (ci-contre). Pas de chance, j’ai droit à de grosses traces de pinceau! Car le bitume n’était pas assez dur! Le pinceau est donc une fausse bonne idée. Ca peut marcher miraculeusement, comme ça peut détruire l’image…

Je n’abandonne cependant pas tout de suite le pinceau, faute de mieux.

Le rinçage :

Une fois l’image apparue, il faut retirer tout le bitume inutile, en rinçant la plaque à l’eau courante. Encore une étape difficile et incertaine. 

La plaque doit recevoir un filet d’eau le plus large possible (qui l’englobe entièrement), avec un courant assez fort pour entraîner ce qui doit être éliminé, mais assez faible pour éviter de décaper la couche restante!

Les planches de rinçage de Nicéphore, à la Maison Niépce.

Niépce, qui ne disposait pas d’eau courante, préconisait d’utiliser une longue planche inclinée. En bas de celle-ci, la plaque est maintenue calée contre des butées. Avec un pichet, on verse l’eau sur le haut de la planche, elle s’étale sur le bois, et passe sur la plaque, avant d’atterrir plus bas dans une cuvette.

Aujourd’hui, on peut simplement confectionner un système avec une plaque de plexi et un butoir. Il doit être plus grand que la plaque, afin que l’eau vienne couler en amont de celle-ci, puis, par la gravité, qu’elle soit entraînée sur la plaque. Le but est d’éviter que le filet d’eau ne vienne tomber directement sur l’image (risque de décollement de toute la couche de bitume).

Si l’opération réussit, il faut verser ensuite de la même façon un verre d’eau déminéralisée en fin de rinçage sans attendre, afin que la plaque puisse sécher sans traces de calcaire. 

Laisser durcir quelques heures à l’abri de la poussière, et c’est terminé. L’image est stable et plutôt solide.

Astuce : si vous voulez récupérer le support, il vous suffit de le tremper dans la térébenthine un bon moment. Si c’est du verre, vous ne craignerez pas de frotter vigoureusement. Si c’est une plaque argentée et polie, il ne faut jamais la toucher. Donc laisser le temps au bain de tout dissoudre. Ca peut prendre une heure ou deux!

Mon premier rinçage… qui se termine mal. J’ai laissé trop longtemps la plaque dans la térébenthine. Au rincage, l’image fond littéralement. On voit l’utilité du support en plexi, avec sa butée.

Petits problèmes...

A la vérité, ces étapes de dépouillement/rinçage sont un véritable enfer à vivre. Car le succès dépend du degré d’exposition de la plaque, et du moment où l’on décide de la sortir du bain.

  • Si la plaque est surexposée, l’image tarde à apparaître, car la térébenthine a du mal à attaquer le bitume trop durci. Quoiqu’il en soit, au bout d’un moment, elle finit toujours par venir. Hélas, la venue de l’image s’accompagne de la création d’une multitude de trous dans la couche. En effet, le bitume étant trop résistant, le bain finit par passer par les zones de faiblesse du matériau, à savoir, les multiples grains de poudre non dissous et les poussières incrustées. Ce qui crée des portes d’entrée pour la térébenthine, qui va creuser la matière de façon circulaire. Par ailleurs, j’ai remarqué qu’avec un bitume ancien (deux mois) ou un peu épais, l’eau n’a pas beaucoup d’effet pour retirer le bitume inutile. Donc, si vous ajoutez la surexposition à cet état, c’est l’horreur garantie. 
  • Si l’image est sous-exposée, vous aurez le problème suivant : l’image va apparaître si vite, que vous n’aurez même pas le temps de la sortir de la cuvette : elle aura déjà été dissoute avant le rinçage! Et ce dernier va tout enlever. Une sous-exposition est facile à identifier, car seules les zones les plus fortement insolées résistent. En gros, les HL sont là, mais pas les demi-teintes ni les ombres.
  • Si l’exposition est parfaite, l’image apparaît au bout d’une trentaine de secondes. Mais vous n’êtes pas sauvé pour autant, car il faut arriver à « sentir » le moment où il faudra la sortir du bain. Cet instant est décisif pour le succès final, et dépend de l’expérience acquise au fil des plaques. Ca se joue à une poignée de secondes.
Bref, tout ça tient un peu (beaucoup) de la chance.
Par ailleurs, il est extrêmement décourageant de perdre une image après plusieurs jours de pose. C’est la raison pour laquelle je conseille de ne pas se lancer dans une prise de vue directe, tant qu’on n’a pas maîtrisé ces deux dernières étapes. En gros, vous en avez pour des mois de travail.

De gauche à droite : image fortement sous-exposée (demi-teintes absentes). Image légèrement sous-exposée. Image quasi bien exposée. Image fortement surexposée, laissant apparaître de nombreux trous. A noter, la variation de couleur du bitume en fonction de l’exposition.

Substitution du verre au profit du laiton plaqué d'argent :

Anneaux de Newton bien visibles sur cet essai. Ne pas tenir compte de la partie noire.

La prochaine étape va consister à poursuivre les essais par contact, mais cette fois en choisissant le plaqué d’argent poli. Ce n’est pas plus simple, car cela nécessite de repolir la plaque que je récupère après chaque échec (compte tenu de son coût). C’est très fastidieux : il faut la décaper de son bitume sans la rayer, ressortir tout le matériel de polissage, passer du temps à polir délicatement, etc. Je vous renvoie à ma page consacrée au polissage des plaques daguerriennes pour la méthode.

J’ai procédé exactement comme pour le verre. La nouveauté est que cela modifie les temps de pose, qui semblent légèrement raccourcis, mais je n’en suis pas certain : il y a tellement de variables. On va surtout devoir s’habituer à gérer la qualité de polissage de l’argent. Je pensais que les défauts seraient plus ou moins noyés sous le bitume, mais il n’en est rien!

Autre souci : il y a parfois formation d’anneaux de Newton sur la zone de contact argent/bitume. Ce point est insoluble pour moi, car je n’ai pas su isoler dans quel cas ces interférences se forment. Est-ce dû à l’épaisseur du bitume? Ma plaque est-elle trop lisse? Si c’est le cas, pourquoi cela ne se produit-il pas avec le verre, pourtant très lisse? Mystère.

Quelques exemples sur plaqué d’argent. Qui sont d’ailleurs globalement surexposés.

Changement de dimension :

Après plusieurs mois d’essai, j’en ai un peu marre de voir toujours les mêmes trois photos. Je ne suis pas encore au point, mais je prends quand même le risque de me lancer dans la réalisation d’une véritable photographie d’après nature. Directement en format 4X5 à la chambre, sur plaque de laiton argenté et poli miroir. Mais j’utilise une plaque de récupération, bien conscient de n’avoir aucune chance de réussir du premier coup (on va voir que j’avais raison!).

Hélas, je n’avais, lors de mes premières tentatives, que des optiques de chambre n’ouvrant au mieux qu’à 5,6. Marignier a, quant à lui, utilisé un objectif ouvert à F4 (sans doute issu d’un moyen format 6X6, car son cercle image est de 8 cm). Et chose étonnante, l’optique de Niépce ouvrait à F4, tout en couvrant le format 18X24 cm! Mais il est vrai, avec une qualité épouvantable.

Marignier annonce un temps de pose de 3 à 4 jours pour ses prises de vues. Avec mon optique deux fois moins lumineuse, je m’attends à une semaine de pose (nous sommes en mars 2022).

Je pose l’appareil sur mon balcon et le braque sur l’immeuble d’en face. Je laisse l’obturateur ouvert une semaine et développe l’image… avec ma méthode du pinceau. Je n’aurais pas dû… Seul le ciel résiste. Je comprends que l’image est sous-exposée.

J’ai voulu développer la photo avec ma technique du pinceau. C’était bien parti, mais j’ai trop tardé à sortir la plaque du bain. Résultat : toutes les ombres et les demi-teintes ont disparu.

Bon, une semaine, ce n’était pas suffisant… Je recommence, et pose cette fois deux semaines. Je développe sans pinceau, mais malgré cela, j’ai un résultat curieux. Les ombres fondent.

« Toujours sous-exposé. Encore une fois, seul le ciel tient le coup. Le mois de mars n’est pas suffisamment favorable ». C’est ce que je me suis dit à ce moment-là. A posteriori, j’ai compris que mon image était en fait surexposée tout en étant mal développée dans un bain mi-térébenthine, mi-pétrole, mais je n’avais pas encore le recul pour le comprendre.

Plaque héliographique sur argent-héliographie le point de vue du Gras
15 jours de pose.
La Sinar et son 110 mm en batterie. Le boitier 24X36 sert à réaliser un test sur une petite plaque.

Je me dis alors qu’il me faut une optique plus lumineuse! Idéalement F-2,8. De toute façon une bonne idée, car elle va permettre d’aller plus vite.

Problème, les objectifs couvrant le 4X5 et ouvrant à 2,8 sont rares et chers. Heureusement, je possède un 110 mm F-2,8 Sekor pour Mamiya RZ, et j’ai fabriqué une planchette d’adaptation pour l’utiliser sur la Sinar. C’est un objectif inadéquat pour le 4X5 (cercle image trop petit), mais après montage, j’ai réalisé que seuls les coins n’étaient pas couverts, ce qui est acceptable.

Avec ce nouveau matériel, j’entame une nouvelle série d’essais. Habitué que j’étais à poser 15 jours (tout en ayant une image sous-exposée), j’ai logiquement choisi de poser 8 jours (mon optique étant quatre fois plus rapide, poser deux fois moins longtemps fait quand même gagner un diaph). Hélas, j’ai eu droit à un résultat inverse du précédent, à savoir une image surexposée.

En effet, au fil des essais, la saison a avancé, nous sommes désormais en juin, et l’intensité du soleil est maximale.

Image surexposée après 8 jours à 2,8. Formation de petits points blancs caractéristiques.

J’en tiens donc compte sur l’essai suivant. Je réduis la pose à 5 jours, et cette fois-ci, j’ai enfin une image regardable! Un peu sous-exposée cependant, car des nuages se sont invités pendant une partie de la pose. Frustrant… D’autant que les parties sous-exposées ont commencé à fondre, créant de nombreuses taches et coulures. Par ailleurs, le vernis encore un peu neuf et jeune, avait beaucoup de particules de bitume non dissoutes, créant ces points noirs dans le ciel.

Le développement de cette photo légèrement sous-exposée. Ce résultat encourageant me redonne espoir.

Je ne perds pas patience, et tente un dernier essai sur une nouvelle plaque. Je garde le même temps de pose (car la météo prévoit une semaine complète sans un nuage). Et j’obtiens enfin une plaque parfaitement bien exposée!

Je suis heureux, après tout ce travail, de vous présenter... le Point de Vue du "Gars" :

Le Point de Vue du Gars, héliographie en prise de vue directe. 5 jours de pose avec un 110 mm à F-2,8. Photo : Tristan da Cunha.

Quelques détails de la plaque, afin d’apprécier la qualité de la technique héliographique. Malgré les limitations de l’optique dues à l’emploi de la pleine ouverture, le potentiel de résolution est évident. Niépce n’a hélas, jamais pu obtenir ce niveau de détail, simplement à cause de la faiblesse de ses objectifs.

Pour le plaisir, la plaque en positif et redressée numériquement.

Un timelapse sur une journée entière, mettant en lumière la temporalité particulière de l’héliographie.

Comment le Point de Vue du Gars s’est révélé.

Pourquoi cette image a-t-elle mieux réussi que les autres?

Parce que plusieurs éléments heureux se sont réunis :

  • Temps clair et stable tout du long.
  • Donnant ainsi une exposition bien calée dans la fourchette étroite de tolérance.
  • Développement interrompu juste à temps.
  • Usage de térébenthine pure au lieu de diluée.
  • Je constate qu’à aucun endroit le métal ne s’est mis à nu, empêchant une porte d’entrée pour un déchirement de la couche de bitume. Le contraste est amoindri (pas d’ombres vraiment blanches matérialisées par l’argent pur), mais les nuances sont bien présentes.
  • Remarquez, au chapitre des défauts, la présence d’anneaux de Newton, de lambeaux de bitume collés au revêtement, et d’une grosse poussière en bas à gauche, qui forme un belle tache noire.

Bon, maintenant que j’ai réussi l’étape « vue de ma fenêtre », il est temps de passer à plus original… La suite en partie 2!

Tristan da Cunha

Photographe professionnel, spécialisé depuis 20 ans dans la prise de vue culinaire et tous les défis techniques.

Mais pas seulement…

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