Le matériel
La réalisation d’un daguerréotype induit de devoir fabriquer soi-même quasiment la totalité du matériel. Il est amusant de constater que chaque opérateur possède son propre système, complètement original, et que l’on peut obtenir de bons résultats aussi bien avec un matériel sophistiqué que simplifié. A chacun de choisir sa religion en fonction de ses besoins.
D’une manière générale, déterminer la taille de plaque maximale que l’on compte utiliser un jour, et fabriquer ses éléments pour ce format. Il n’y a pas d’inconvénient à ajouter un réducteur pour utiliser des plaques 9X12 cm dans une boîte acceptant des plaques 20X25 cm. L’inverse nécessite par contre de refabriquer une boîte!
A noter que pour les paresseux fortunés, Mike Robinson, au Canada, fabrique et vend du matériel pour dag tout prêt.
Les plaques :
La première étape consiste à parvenir à obtenir des plaques de cuivre ou de laiton de la bonne taille, et polies sur une face. Figurez-vous que ce n’est pas si simple… Tout d’abord, l’épaisseur : trop fines, elles vont se déformer en subissant le polissage, trop épaisses, elles seront trop lourdes, trop chères et ne rentreront pas dans les châssis.
Le compromis idéal se situe autour de 0,8 mm d’épaisseur. A noter qu’il est bien plus facile de trouver du 1mm d’épaisseur. A vous de voir si ça convient à votre usage.
Le procédé décrit qu’il faut employer du cuivre, mais il n’y a aucun inconvénient à utiliser du laiton. Ce dernier a l’avantage d’être 20% moins cher.
Les plaques se trouvent en des dimensions normalisées, mais qui ne correspondent pas forcément pile à la taille de vos châssis! Deux solutions : soit vous adaptez vos châssis à vos plaques, soit vous découpez vos plaques vous-même.
Découper une plaque sans la déformer est très difficile, et il n’existe que deux moyens : la grignotteuse (une pince qui découpe la tôle), ou un massicot spécial. Ce dernier est l’idéal, mais coûte une fortune.
Personnellement, j’achète de grandes plaques de laiton brut, et je les découpe moi-même à la grignotteuse. Ensuite, je les polis. Mais c’est un boulot considérable, tout ça pour gagner quelques euros, si bien que je me demande si ça vaut vraiment le coup. Mais la méthode a au moins l’avantage d’obtenir des plaques sur mesure.
Une fois découpées, il faut polir les plaques sur une face, pour accueillir l’argenture. Ce polissage ne peut se faire qu’au touret à polir (ça vous servira d’entraînement pour le polissage de l’argent…). A moins que vous n’achetiez des plaques déjà polies.
L’argenture :
Certains font leur argenture eux-mêmes. Mais, à moins d’être un crack là-dedans, je ne saurais trop vous conseiller de vous lancer dans cette aventure. Le dag est déjà suffisamment difficile comme ça… inutile de se rajouter des épreuves qui vont compromettre la qualité finale. Le mieux est de confier cette tâche à un professionnel (je conseille Rouge Pullon, ils argentent les plaques pour le dag depuis toujours. Ils savent même polir superbement), ainsi, on est sûr de la qualité de l’argenture, et c’est toujours un problème que l’on aura évité. Par ailleurs, c’est super dangereux (usage de cyanure); le brome et le mercure, ça ne vous suffit déjà pas?
Après quelques années de pratique, on pourra toujours s’y mettre, mais pas avant d’avoir solutionné tous les autres problèmes!
Le polissage :
Une fois ses plaques argentées, il faut les polir. Cette étape peut paraître superflue, car l’aspect de surface d’une plaque neuve semble parfaitement poli. Hélas, les plaques arrivent généralement un peu sales, et du reste, doivent être débarrassées d’une oxydation de surface invisible, qui va compromettre la sensibilisation. De toute façon, quand vous raterez vos images, vous devrez repolir les plaques pour les réutiliser. Vous n’y couperez pas!
Il est du reste assez rageant de devoir en passer par là, car il est extrêmement difficile d’arriver à rétablir le poli miroir d’origine après avoir touché à la surface. En effet, l’argent est d’une incroyable sensibilité aux rayures, et même le passage d’un coton suffit à laisser une trace. Et pourtant, il va falloir y arriver, car la qualité de l’image dépend entièrement du polissage. C’est vraiment LE secret!
L’étape du polissage est la plus difficile de tout le procédé. Personnellement, j’en suis encore à chercher la bonne méthode.
Question matériel, vous pouvez investir dans plein de trucs, à vous de voir ce qui peut vous aider :
– touret à polir
– ponceuses vibrantes ou rotatives avec plateau de tissu ou de velours
– pâtes à polir, tissus spéciaux, peaux de chamois, Miror
– poudres abrasives : rouge d’Angleterre, tripoli, etc.
J’ai acheté tout cela, et rien ne donne de bon résultat facilement.
Le touret à polir, même avec les disques qui vont bien (coton, flanelle, etc.) et les pâtes ou poudres adaptées, ne permet qu’un dégrossissage. C’est-à-dire que vous vous retrouvez avec une plaque certes polie, mais bardée de fines rayures.
Le problème, c’est d’enlever les fines rayures.
On peut frotter la plaque sur un velours tendu sur une planche, avec de la poudre abrasive (ou sans), mais on a un double sentiment : celui de perdre son temps (ça ne marche quasiment pas, même après des centaines d’allers et retours!), et d’empirer le phénomène (de nouvelles rayures apparaissent!). C’est pourtant la méthode traditionnelle la plus courante!
Alors que se passe-t-il? En réalité, je n’en sais rien, le velours est bien de la première qualité (du beau du vrai, du noir, du rouge, du cher), avec ou sans poudre (rouge d’angleterre, mais j’ai aussi tenté d’autres ingrédients). Le problème, c’est que dès qu’on touche à la plaque, une rayure apparaît, que ce soit avec du coton, du velours, n’importe quoi de doux!
Le mieux que j’ai trouvé, c’est la ponceuse vibrante, avec le plateau modifié pour accueillir une planchette de velours. Les vibrations empêchent la formation de ces cochonneries de rayures parallèles. Mais peuvent en créer d’autres, car il suffit d’une poussière abrasive sur le plateau pour créer de jolis dessins sur la plaque! On peut améliorer l’efficacité du polissage avec de la pâte à polir, mais la plaque va ressortir sale, et si on passe un coton pour la nettoyer, elle va se rayer à nouveau!
Bref, on n’est pas sorti de l’auberge, et le polissage est un problème permanent.
L'appareil de prise de vue
Le daguerréotype interdisant tout agrandissement ultérieur (en dehors des techniques de reproduction), l’appareil de prise de vues doit pouvoir accepter des plaques suffisamment grandes pour être lisibles directement.
On va donc naturellement s’orienter vers les appareils de grand format, du type « chambre ».
Mon choix s’est porté sur des modèles Sinar, en format 4X5, de type P et F (la P servant pour le studio, et la F, plus légère servira pour les extérieurs), avec tous leurs accessoires.
Les optiques sont modernes, je ne suis pas adepte des reconstitutions historiques. Le dag ayant la particularité de bénéficier d’une résolution très élevée, avec un grain très fin, il m’a paru intéressant d’exploiter cette caractéristique par l’usage d’optiques performantes et contrastées. Me cantonnant aux sujets statiques, et recherchant la plus grande netteté et profondeur de champ, j’ai trouvé inutile de choisir des cailloux lumineux. J’emploie donc des focales variées, ouvrant à 5,6 (75, 150, 240, 300, 480mm F9,4)
J’ai également acquis des dos et châssis en format 13X18 et 20X25 cm. Hélas, j’ai dû interrompre le dag avant d’avoir pu réaliser des plaques de cette taille.
Les châssis :
Un châssis sert à supporter la plaque pour la placer dans l’appareil de prise de vue. Accessoirement, il garde la plaque à l’abri de la lumière avant et après l’exposition.
Dans le commerce, le modèle le plus courant, c’est le châssis Fidelity. Parfaitement adapté aux films souples d’aujourd’hui, il ne l’est pas pour les plaques.
Il existe également chez Linhof des châssis spéciaux initialement prévus pour plaques de verre. Ils datent des années 60, mais on les trouve encore facilement sur Ebay. Il sont idéaux, car ils sont dotés d’un système avec dos-presse qui pousse la plaque sur une butée, garantissant que le plan de mise au point reste inchangé quelle que soit l’épaisseur de la plaque. Mais ils ont l’inconvénient d’être très épais (à vous de voir si votre chambre accepte la différence) et surtout d’avoir une surface-image bien plus petite que le 4X5. On est assez proche du 8,5X11,5 cm, ce qui fait une belle différence avec le 4X5 (10 X 12,5 cm).
Personnellement, je trouve qu’un dag n’est jamais trop grand, et ces quelques cm en moins me rendent malade, si bien que j’ai quand même opté pour les châssis Fidelity, mais là, il faut entrer dans les grands travaux d’adaptation!
En particulier, il faut ajouter une épaisseur de matière sur tout le bord en contact avec le dos de la chambre, pour compenser la surépaisseur de la plaque. Le hasard fait que le plastique des volets a pile l’épaisseur d’une plaque 0,8mm moins celle d’un plan-film! De plus, il est noir et très solide. J’ai donc sacrifié un volet pour y découper des bandes collées sur la zone de contact avec le dos-film de la chambre. Avec un seul volet, on fait les deux côtés.
Mais ces châssis sont dotés d’un volet beaucoup trop souple, et le risque est grand qu’il vienne en contact avec la plaque lors d’un appui accidentel sur ce dernier. J’ai donc fabriqué un étui de transport individuel rigide.
La boîte à iode :
Pas d’alternative, il faut bricoler soi même à partir de zéro, en s’inspirant de ce que les autres ont fait avant vous, et en priant pour ne pas s’être planté quelque part!
A noter que vous pouvez utiliser du plexi au lieu de verre, ça marche très bien (il devient légèrement rosé au bout de plusieurs années, sans inconvénient). Essayez d’éviter, contrairement à ce que j’ai fait, de laisser du laiton en contact avec les vapeurs. La vis servant à bloquer le plexi est faite de ce matériau. Au bout de deux ans, elle s’est recouverte d’un liquide blanc et épais, comme de la peinture. Mais un simple nettoyage a enlevé cette matière. Au contact des vapeurs, le bois va se noircir, c’est inévitable.
Disposer les cristaux d’iode au fond de la boîte, dans un tupperware. Les répartir de façon très homogène, puis disposer dessus une couche régulière de papier essuie-tout. On peut laisser en permanence les cristaux dans le tupperware, du moment qu’on le referme bien après emploi.
On place la plaque dans l’ouverture, volet en plexi fermé. On referme la boîte, on ouvre le volet, et on lance le chronomètre. Toutes les minutes, on stoppe et on regarde la couleur que prend la plaque. Les couleurs arrivent dans cet ordre : jaune, rose, bleu, vert. Après le vert, recommence un second cycle identique, mais le résultat n’est plus le même, il vaut mieux s’en tenir au premier cycle. Le pic de sensibilité est atteint au jaune d’or du premier cycle, mais c’est là que la dynamique est la plus faible. Je m’en tiens au rose naissant (juste après le jaune).
La boîte à brome :
Celle-ci doit requérir toute votre attention. Elle doit être parfaitement étanche, doit comporter un support de plaque à glissière et en plus un volet de fermeture en téflon. A noter qu’aucune pièce métallique essentielle ne doit être à nu à l’intérieur (le brome va la corroder). Il est strictement interdit d’utiliser de l’aluminium (ce métal réagit très violemment, il s’enflamme). Au fond de la boîte, se trouve une cuvette en pyrex.
La boîte à mercure :
Sur les images, manque la lampe à alcool, chargée de chauffer le mercure par en-dessous. Les pieds de la boîte sont réglables en hauteur, pour ajuster la T° par éloignement de la flamme.
On dispose 100g de mercure (préalablement filtré) dans la coupelle. On place un châssis contenant la plaque dans la boîte. On ferme le volet, et le couvercle.
Ensuite, on allume la lampe, et on contrôle la montée en T° via le thermomètre (dont la sonde plonge directement dans le liquide). Quand on arrive à 65°C, on retire la lampe. La température monte par inertie. Quand on a atteint 70°C, on ouvre le volet en téflon de la boîte (qui protégeait la plaque des vapeurs), et on lance le chronomètre. Ensuite, on tente de maintenir la T° autour de 70°C le plus précisément possible, en allumant et éteignant la flamme régulièrement. C’est délicat!
Cette boîte doit être l’objet de tous vos soins, surveillez en particulier l’étanchéité. La mienne, je l’ai faite un peu grande, la pyramide inversée est trop haute. Ce n’est pas grave, mais du coup, il y a trop de volume à l’intérieur, et le temps de développement s’en trouve rallongé (10 mn à 70°C).
L'avivage au chlorure d'or
Confection d’un support avec système de trépied réglable par vis pour mise à niveau parfaite. Le dag du bâtiment montre l’effet de l’avivage sur une plaque. A droite, après avivage.
La plaque doit avoir un contact le plus faible possible avec le support, sinon, des zones se créent lors du chauffage. J’ai disposé des boulons sur les tiges de métal, cela suffit.
Il faut chauffer au chalumeau en déplaçant constamment la flamme sur toute la surface. Il ne faut jamais que le liquide se mette à bouillir, mais il doit être suffisamment chaud, assez longtemps, pour que toute tache disparaisse.
Quand des petites bulles commencent à apparaître, c’est le signe qu’on arrive au bout. Mais il faut poursuivre quand même, sans faire bouillir.
Au début du processus, l’image commence à s’affadir, puis semble disparaître. Ensuite, petit à petit, elle réapparaît. Le piège est de s’arrêter là. Il faut pourtant continuer jusqu’à ce que toutes les taches finissent par s’estomper. Hélas, certaines ne peuvent être supprimées. C’est pourquoi l’étape est risquée. Vous serez peut-être tenté de vous contenter de ne pas aviver.
La hotte :
Tant qu’on y est de parler mercure, vous aurez évidemment pris soin de vous procurer une hotte filtrante de laboratoire, ou un masque à gaz avec cartouche spéciale mercure. Il est absolument impensable de vous lancer là-dedans si vous n’avez pas au moins l’un de ces équipements. Mine de rien, c’est un vrai problème! Le mercure n’a aucune odeur, et on s’intoxique sans le savoir. Pensez également aux voisins si vous projetez l’emploi d’une hotte qui se contente de balancer les vapeurs dehors. L’idéal, c’est la hotte avec filtre spécial, mais la facture grimpe vite, d’autant que le filtre est fichu après 60 heures.
Révision du texte: L’expérience m’a démontré qu’une hotte avec filtration telle que celle acquise ici est inadaptée pour le mercure. Le filtre est hors d’usage après seulement quelques séances, dès lors que celles-ci ne sont pas effectuées sur une période de temps de quelques jours (les 60 heures sont données pour un usage continu). En fait, le filtre s’use entre deux séances (il absorbe les polluants de l’environnement, et se sature tout seul).
En gros, une fois déballé, il est mort au bout d’un mois, même sans s’en servir! Et comme ça pèse 15 kg, ce n’est pas évident de l’extraire de la hotte à tout coup pour le mettre à l’abri de l’air. Ah oui, il coûte la bagatelle de 700 Euros…
Le problème est similaire pour le masque à gaz : Mon expérience malheureuse a démontré que les cartouches tiennent maxi un mois (et pas plus de 15 heures d’usage cumulé), même emballées dans un sac étanche après chaque usage.
Donc les 60 heures annoncées sont complètement trompeuses, et ne renseignent en rien sur la durabilité du filtre entre les séances. En gros, si vous voulez être sûr de votre coup, jetez le filtre après quelques jours.
Une centaine d’euros à la poubelle au passage, pour le filtre de masque.
Une possibilité : utiliser une hotte qui balance tout loin dehors. On se protège, mais on flingue les voisins (et l’environnement). Pas idéal quand même. C’est pourtant ce que font la plupart des praticiens. Mais ça me rend fou de risquer la santé de l’environnement immédiat.
La solution radicale serait donc de revenir à la hotte filtrante, mais de fabriquer un système d’évacuation des gaz en-dehors du local. On ne serait pas obligé d’être aussi drastique avec les filtres : de légères fuites, diluées dehors, peuvent être tolérées, j’imagine. Si je devais recommencer le dag, j’opterais pour cette solution.
Tristan da Cunha
Photographe professionnel, spécialisé depuis 2000 dans la prise de vue culinaire et tous les défis techniques.
Mais pas seulement…