Le procédé

Un peu d'histoire

Le 9 janvier 1839, Louis-Jacques-Mandé Daguerre, artiste peintre et créateur du célèbre Diorama parisien, fait une démonstration spectaculaire à l’Académie des Sciences : par un complexe procédé dont il est l’auteur (en réalité, il a très habilement perfectionné l’invention de Nicéphore Niépce, mort trop tôt pour en faire la publicité), il montre, devant l’assemblée médusée, des images sur plaque de métal qui sont l’enregistrement des images aériennes de la camera obscura, cet instrument d’optique utilisé par les peintres.

On reste pourtant dans l’ignorance des détails du procédé miraculeux, et il faut attendre le 19 août 1839, pour que François Arago décrive à l’Académie, les détails du daguerréotype et propose que le gouvernement français achète le brevet de l’auteur afin d’en doter « libéralement le monde entier ». En plein siècle des lumières, et dans un élan humaniste, la proposition est immédiatement adoptée.

En septembre est mis en vente un kit (conçu par Daguerre et l’opticien Chevalier), comprenant l’ensemble des éléments nécessaires à l’obtention d’une image, de la chambre photographique au nécessaire de polissage et de développement.

Dès lors, l’histoire est en marche, et le procédé va se diffuser en quelques semaines dans toute l’Europe, sauf en Angleterre, où Daguerre est parvenu secrètement à faire breveter son invention avant août 1839. Dès l’hiver 1839-40, il atteint l’Amérique (grâce à Samuel Morse), puis le monde entier.

Les quelques chanceux qui ont les moyens financiers d’acheter le kit, se heurtent immédiatement à bien des déboires techniques et ont le plus grand mal à obtenir une image, malgré la publication du mode d’emploi très détaillé de Daguerre.

Devant la pression publique, ce dernier est contraint d’assurer pendant quelques mois, des séances hebdomadaires où il effectue la démonstration de son procédé et répond aux questions pratiques.

Petit à petit, des opérateurs compétents sont formés, et diffusent leur savoir à la communauté. Le procédé étant libre d’usage, chacun est libre de le pratiquer et de l’améliorer sans redevance. Rapidement, deux avancées majeures permettent de réduire le temps de pose et d’améliorer la lisibilité de l’image, ce qui va permettre la venue d’un inégal marché de portrait, souvent par l’entremise de marchands ambulants se déplaçant de ville en ville.

L’usage du daguerréotype perdure environ 15 ans, puis finit par disparaître suite à la découverte de procédés plus simples et performants, comme le négatif-positif sur papier (calotype, déjà disponible dès 1839), puis sur plaque de verre au collodion (bien plus rapide) et tous ses dérivés (ambrotype, ferrotype, etc.).

Mais depuis lors, bien qu’officiellement disparu, le daguerréotype a toujours continué à être pratiqué dans l’ombre par une minuscule poignée d’amateurs passionnés (parfois un seul) quelque part dans le monde.

La technique

Sommairement décrit, le daguerréotype consiste à utiliser une plaque de cuivre ou de laiton de la dimension acceptée par l’appareil de prise de vue. Sur cette plaque est déposée en surface une fine couche d’argent pur (15 à 30 microns d’épaisseur), par électrolyse. La couche d’argent est ensuite très délicatement polie.

La plaque est ensuite disposée dans une boîte au fond de laquelle sont déposés des cristaux d’iode. L’iode s’évapore naturellement, et les vapeurs vont se combiner à l’argent de la plaque pour former de l’iodure d’argent, qui est photosensible.

Accessoirement, on peut ajouter l’étape du brome, qui est un agent accélérateur. La plaque, soumise aux vapeurs de brome, devient 60 fois plus rapide qu’avec l’iode seul.

Un dernier bref retour aux vapeur d’iode, et la plaque est prête pour la prise de vue.

Après l’exposition dans l’appareil, il faut ensuite révéler l’image ainsi formée, qui n’existe encore que sous forme latente. Cette opération se fait grâce à une boîte dans laquelle la plaque est soumise à des vapeurs de mercure (chauffé à 70°C). Les micro particules de mercure atteignent la plaque et vont se fixer sur toutes les zones où l’iode a reçu la lumière, laissant la plaque vierge dans les noirs. Au sortir du développement, l’image est visible, mais est encore sensible à la lumière, car l’iode continue d’être actif.

Il faut donc débarrasser la plaque de l’iode afin de pouvoir fixer l’image de façon permanente.

Cette opération s’effectue en plongeant la plaque dans une solution d’eau et d’hyposulfite de soude, qui a le pouvoir de dissoudre l’iode sans toucher à l’amalgame de mercure. Après rinçage et séchage, la plaque est terminée.

En l’état, l’image est stable mais extraordinairement fragile : le moindre contact physique fait disparaître l’image. Car cette dernière n’est formée que de poussière de mercure déposée en surface, à la manière du noir de fumée d’une bougie sur une lame de couteau. Daguerre s’arrêtait à ce stade.

Un an après la divulgation du procédé, et pour pallier à cet inconvénient, le chimiste Fizeau inventa une étape supplémentaire : l’avivage au chlorure d’or.

L’avivage consiste à déposer sur la plaque une solution de chlorure d’or allongée de quelques grammes d’hyposulfite, le tout diluée dans l’eau distillée. On chauffe la plaque par le dessous au moyen d’une flamme. La chaleur va provoquer la combinaison de l’or avec le mercure. Le résultat donne une plaque aux reflets dorés, et aux contrastes plus marqués, et où l’image se révèle (un peu) plus résistante aux frottements.

Cela dit, l’avivage ne dispense pas de devoir sceller la plaque entre une vitre et un carton, afin de mettre le daguerréotype à l’abri de l’oxygène et de la pollution atmosphérique qui oxydent l’argent.

En pratique

Lors de la divulgation du daguerréotype, l’accent fut mis sur la « simplicité des opérations, permettant à chacun d’emporter chez lui les souvenirs de ses excursions». Les premiers pratiquants s’aperçurent bien vite combien ce slogan était fallacieux.

Malgré la publication détaillée des étapes du procédé, les échecs furent si nombreux que Daguerre fut prié d’effectuer des démonstrations publiques à l’Académie des Sciences, chaque jeudi pendant plusieurs mois, afin de former les opérateurs de la première heure. On se rendit compte alors qu’il était quasi impossible d’aboutir à un bon résultat sans avoir été formé directement par un opérateur qui avait déjà la maîtrise du procédé.

Car le médium est particulièrement difficile, et il faut admettre qu’il s’agit de très loin du plus délicat et du plus incertain de tous les procédés photographiques inventés, sans exception.

Pour comprendre la difficulté, il suffit d’énumérer quelques contraintes :

  • Le polissage est la première étape, et c’est une des plus difficiles, car elle conditionne la qualité du reste. Il faut parvenir à obtenir un poli miroir absolu, sans résidu de rayures, ce qui est une prouesse qu’il faut à chaque fois renouveler. Il faut savoir que le simple passage d’un velours ou d’un coton suffisent à laisser une marque sur l’argent. Par ailleurs, cette étape ne peut être préparée d’avance (pour pouvoir se constituer un stock de plaques toutes prêtes), car l’argent s’oxyde en permanence au contact de l’air.
  • La sensibilisation à l’iode : Le temps d’exposition aux vapeurs d’iode détermine la sensibilité et le contraste de la plaque. Il faut trouver le bon compromis sensibilité/contraste en fonction du résultat prévu. L’évaporation des cristaux est sensible à la température, mais aussi à l’humidité ambiante, c’est pourquoi il est impossible de se fier au chronomètre pour arriver à ses fins. Seule l’observation de la teinte que prend la plaque est un indicateur. Régulièrement, il faut observer la couleur de celle-ci (dans la pénombre, ce qui fausse l’appréciation de la nuance colorée). Elle prend d’abord une teinte jaune clair, qui tend à passer au jaune dense, puis au rose, puis au bleu, puis au vert. Mais tout cela est dans la nuance… Le bon compromis est atteint au « rose naissant ». A noter qu’il est très difficile d’obtenir une couche d’iode uniforme, car ce dernier a tendance à se former de préférence sur les bords de la plaque. Il en résulte une différence de sensibilité centre/bords, provocant du vignettage.
  • L’exposition aux vapeurs de brome : Agent accélérateur, le brome est utilisé en complément de l’iode pour augmenter la sensibilité de la plaque à la lumière. Il divise par 60 le temps de pose. Mais l’opération est très délicate, car pour être efficace, la plaque ne peut être soumise que quelques secondes aux vapeurs, et ce temps varie en fonction de nombreux facteurs (t°, humidité, etc.). Par ailleurs, le brome est un produit extrêmement dangereux à manipuler : les vapeurs sont corrosives, potentiellement mortelles, et une goutte de brome sur la peau produit une blessure longue à cicatriser (nécrose des tissus). C’est pourtant le seul moyen pour la pratique du portrait.
  • L’exposition dans l’appareil de prise de vue. Ici, la difficulté vient principalement du fait que la plaque est surtout sensible au bleu et aux UV, ce qui rend impossible l’usage fiable des posemètres habituels. Par ailleurs, l’extrême lenteur de la plaque, (équivalant à 0,003 ISO. Soit environ 5 mn de pose à F-5,6 en plein soleil d’été) contraint l’opérateur aux seuls sujets immobiles, sauf si le brome est utilisé (on passe de 5mn à 5 s de pose dans les mêmes conditions, mais la précision exigée pour une bonne exposition est accrue d’autant).
  • Le développement : la difficulté tient principalement dans les dangers liés à la manipulation du mercure, dont les vapeurs sont toxiques (il attaque le système nerveux), surtout lorsqu’il est chauffé. Par ailleurs, les vapeurs sont inodores, et l’on peut s’intoxiquer sans s’en apercevoir. Et quand on s’en rend compte, il est trop tard… L’emploi d’un masque à gaz spécial est donc obligatoire, on peut également utiliser une hotte de laboratoire qui filtre les gaz dangereux. Un bon développement doit avoir été suffisamment long pour révéler complètement l’image, mais doit s’arrêter avant que le mercure vienne créer des points dans les noirs (« cendrage »). Ce temps se détermine par essais successifs, mais une fois qu’il est trouvé, il reste fixe.
  • Fixage : La seule opération facile et sans danger. Il suffit de tremper d’un seul coup la plaque dans une solution d’hyposulfite bien dosée, et attendre que l’iode ait complètement disparu. Ensuite, rinçage abondant.
  • Avivage au chlorure d’or. Opération très délicate, dont l’échec peut détruire complètement tous les efforts précédents. Le principe est de disposer (d’un seul coup, sinon, cela crée des marques) la solution d’or sur la surface de la plaque (maintenue parfaitement horizontale), de manière à la couvrir entièrement sans que le liquide ne déborde. On chauffe alors la plaque par dessous, jusqu’à atteindre une température juste en deçà du point d’ébullition du liquide. L’or se combinant au mercure, le contraste de l’image se trouve renforcé.
  • Rinçage, séchage : il faut éviter toute trace de séchage ni d’essuyage, la plaque ne devant jamais être touchée. Le séchage se fait en chassant l’eau au moyen d’air comprimé.
  • Stockage, archivage : il est indispensable de préserver la plaque de l’oxydation par l’oxygène et les polluants atmosphériques, au moyen d’un montage étanche : la plaque est emprisonnée entre du verre et du carton et scellée sur tout le pourtour au moyen d’adhésif métallique d’archivage.
  • Dès lors, la plaque peut être observée sans risque, et l’image reste stable tant que le montage est intact. Les images réalisées par Daguerre sont encore parfaitement lisibles après 175 ans. A noter que la lumière n’a aucune prise sur le daguerréotype, mais il faut éviter que la plaque n’atteigne 70°C, car le mercure se vaporiserait.
  • Les principaux ennemis de la plaque sont l’oxygène et les polluants. Plus le montage est étanche, plus l’image restera stable. Evidemment, en partant du principe que la vitre ne soit jamais brisée, ni la plaque directement laissée à nu.

Tristan da Cunha

Photographe professionnel, spécialisé depuis 20 ans dans la prise de vue culinaire et tous les défis techniques.

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